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Travailleurs immigrés et métiers en tension : l’hypocrisie de la situation en France

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Travailleurs immigrés et métiers en tension : l’hypocrisie de la situation en France

La question des travailleurs immigrés occupant des métiers en tension soulève une grande hypocrisie autour du projet de loi immigration. Malgré son rejet par l'Assemblée nationale avant le vote, ce projet devait permettre d'ouvrir un débat sur la régularisation des travailleurs sans papiers en France. En effet, certains métiers souffrent d'une pénurie de main-d'œuvre et sont principalement occupés par des personnes immigrées.

Par Joséphine Boone

Ce matin d'octobre, près de la place de la Nation à Paris, un grand groupe d'environ cent personnes s'est rassemblé malgré le froid. La plupart d'entre eux sont des hommes africains, arborant des drapeaux de la CGT ou tenant des tracts. Tous sont venus en réponse à l'appel du syndicat, afin de demander la régularisation de leur statut de résident et de leur contrat de travail. Bien qu'étant sans papiers, ces étrangers sont employés depuis de nombreuses années. Un responsable local de la CGT explique : « Ils sont engagés en tant qu'intérimaires dans des grandes entreprises comme Carrefour, Franprix ou Chronopost. La plupart reçoivent un bulletin de salaire chaque mois et paient des cotisations ».

Amadou Sow a 28 ans et vient du Sénégal. Il est arrivé en France il y a quatre ans et demi et travaille depuis plus de deux ans en tant que manutentionnaire pour une entreprise d'intérim. Amadou explique que lorsqu'il a commencé à travailler, lui et son employeur ont convenu d'établir un certificat administratif afin qu'il puisse obtenir un permis de travail régulier. Malheureusement, malgré le fait qu'il reçoit son salaire chaque mois, il n'a jamais réussi à obtenir son permis de travail. Il n'est pas le seul dans cette situation, car dix autres sans papiers sont également concernés dans cette agence du 12e arrondissement de Paris.

Nous souhaitons dénoncer l'hypocrisie de la situation actuelle en mettant en évidence le fait que certains secteurs en France dépendent entièrement de travailleurs immigrés.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, souligne que leur objectif est de mettre en évidence l'hypocrisie de la situation actuelle. En France, de nombreux secteurs dépendent de la main-d'œuvre immigrée pour fonctionner. Les étrangers jouent un rôle essentiel dans la création de richesses pour le pays. Ce jour-là, 650 personnes sans papiers sont en grève en Île-de-France pour demander une attestation de travail de leur employeur, qui pourrait leur permettre d'obtenir une régularisation. C'est précisément cette question que le gouvernement souhaite aborder dans la partie la plus controversée de son projet de loi sur l'immigration, qui a été rejetée à l'Assemblée avant même d'être soumise au vote.

Selon les estimations du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, il y a entre 600 000 et 900 000 étrangers vivant en France sans permis de séjour. Il est difficile de savoir combien d'entre eux ont un emploi, qu'il soit régulier ou non déclaré. Cependant, il est clair qu'ils occupent des postes dans des secteurs spécifiques, qui sont particulièrement touchés par le manque de main-d'œuvre. Ces secteurs comprennent la restauration, le bâtiment, l'aide à la personne et la propreté. Malgré une demande importante, ces métiers ont du mal à trouver des candidats.

Les experts en statistiques de l'Insee ont récemment analysé la situation en Île-de-France. Dans cette région qui est cruciale pour l'économie française, 22% des postes sont occupés par des personnes d'origine étrangère, et ce chiffre monte même à 44% parmi les assistantes maternelles, 50% dans le secteur de la restauration, 60% dans le domaine du bâtiment et 61% dans l'aide à domicile.

Environ 500 000 employés seraient nécessaires dans le pays pour compenser les pénuries de main-d'œuvre. Après la fin de la crise du Covid et la reprise économique, certaines industries ont du mal à embaucher. Cela représente un véritable obstacle dans une économie déjà en difficulté. Selon une étude de France Stratégie publiée en 2022, certains métiers pourraient connaître une pénurie de main-d'œuvre allant jusqu'à un tiers d'ici 2030.

C'est pourquoi le gouvernement veut rendre plus facile la régularisation des immigrés en situation irrégulière qui ont un emploi, dans un projet de loi risqué. Étant donné que le gouvernement n'a pas de majorité à l'Assemblée, il doit à la fois satisfaire la gauche et séduire les députés Les Républicains, qui sont essentiels pour le vote.

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Les sénateurs, qui sont principalement de droite, ont supprimé l'article 3 du projet de loi qui prévoyait la création d'un titre de séjour pour les travailleurs sans papiers dans les secteurs en demande. Ils ont simplement laissé aux préfets la possibilité de régulariser au cas par cas. De leur côté, les députés de la commission des Lois de l'Assemblée nationale ont opté pour un compromis qui ne donnerait ni un pouvoir discrétionnaire aux préfets, ni un titre de séjour automatique pour les étrangers employés. Avant même d'être examiné, l'Assemblée a rejeté le texte.

La question qui fait débat concerne également la manière de définir les métiers en tension. C'est cette définition qui pourrait déterminer l'étendue de la régularisation. La liste actuelle date de 2021. Le gouvernement avait promis de progresser sur ce sujet, mais jusqu'à présent, rien n'a abouti, selon les informations provenant de Bercy.

L'année précédente, Thierry Marx, un chef étoilé et président de l'Union des métiers de l'hôtellerie-restauration, exprimait sa déception de voir que son secteur n'était pas considéré comme un métier en demande. Il demandait une "régularisation rapide" des travailleurs sans papiers, qui sont nombreux dans les cuisines.

Le célèbre chef n'est pas le seul à défendre cette cause. Selon Frédéric Neymon, membre du conseil d'administration de la Fédération des services à la personne et de proximité (Fedesap), il y a clairement une pénurie de personnel dans le secteur de l'aide à la personne. De plus, les besoins vont augmenter considérablement alors que nous sommes déjà confrontés à de nombreux problèmes administratifs.

Dans le domaine de l'entretien, un quart des employés sont de nationalité étrangère. Cette proportion est encore plus élevée dans les grandes villes et touche une personne sur deux en Île-de-France. Philippe Jouanny, président de la Fédération des entreprises de propreté, exprime son soutien à toutes les mesures visant à faciliter l'embauche de travailleurs. En effet, la profession s'est déjà organisée depuis de nombreuses années pour intégrer des travailleurs étrangers.

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Les entreprises, qu'il s'agisse de boulangers, de restaurateurs ou d'entrepreneurs, sont constamment confrontées à la nécessité de demander aux autorités compétentes de régulariser la situation de leurs employés ou de faciliter le renouvellement de leurs titres de séjour. Malheureusement, certaines entreprises préfèrent garder une main-d'œuvre précaire et peu coûteuse en toute illégalité. Même le Comité d'organisation des Jeux Olympiques 2024, qui est pourtant une association issue de l'administration publique, aurait indirectement employé des travailleurs sans papiers via des sous-traitants sur les chantiers, selon une enquête de France info publiée en octobre dernier. Il semblerait donc que le secteur du bâtiment soit particulièrement concerné par l'emploi de travailleurs sans papiers.

Cependant, dans la réalité, il est extrêmement complexe voire impossible d'obtenir la célèbre régularisation. « C'est tellement compliqué que certaines agences ont jusqu'à 40 ou 50 employés uniquement dédiés au renouvellement des permis de travail et aux demandes de régularisation. Parfois, on renonce à embaucher car cela demande trop de temps », déplore Frédéric Neymon.

Un problème persistant qui nécessite une solution

Il est impératif de trouver une solution à un problème qui ne semble pas vouloir disparaître. La pénurie de main-d'œuvre semble être un problème qui reste constant. Selon Jean-Christophe Dumont, responsable de la division des migrations internationales à la Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE, il est paradoxal de constater que l'immigration joue un rôle plus important dans les secteurs en déclin, car ils ont du mal à recruter des Français. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail ne voient pas d'opportunités dans ces secteurs. En Europe, les immigrants ont représenté 92 % de la croissance de l'emploi au cours de la décennie précédant la pandémie de Covid-19. Le déclin démographique de l'Europe ne va pas inverser cette tendance.

Selon une étude, 72% des dirigeants d'entreprise estiment que l'immigration est avantageuse pour leur pays, tandis que seulement 41% de l'opinion publique générale partage cet avis.

Selon une étude du cabinet de conseil BCG, l'immigration génère environ 9 000 milliards de dollars de richesse chaque année à l'échelle mondiale. Ce montant devrait doubler d'ici 2050 en raison du vieillissement de la population, qui conduira à une pénurie de main-d'œuvre et à une diminution des recettes fiscales. Cette même étude révèle également que 72 % des chefs d'entreprise estiment que l'immigration est bénéfique pour leur pays, tandis que cette proportion n'est que de 41 % dans l'opinion publique globale.

En réalité, il y a une grande différence entre la façon dont l'immigration est perçue dans le contexte du travail et sa dimension politique dans les débats publics. Selon Jean-Christophe Dumont de l'OCDE, au cours des quarante dernières années, l'aspect économique de l'immigration n'est plus aussi important qu'il l'était pendant les Trente Glorieuses. En raison de la crise de l'asile, de nombreux réfugiés sont arrivés pour des raisons autres que économiques, ce qui a masqué la question du travail.

Dans différents pays, les politiques d'immigration varient. Le Royaume-Uni a récemment renforcé ses conditions d'accueil des étrangers, mais reste ouvert aux professionnels de la santé et du social, qui manquent cruellement de travailleurs. D'autres pays ont pris des mesures pour résoudre ce problème. Par exemple, le Canada, qui compte un million de postes vacants cette année, permet l'entrée libre des immigrants dans certains secteurs en demande, tels que les chauffeurs poids lourds, les huissiers de justice, les aides-enseignants et les infirmiers. L'année dernière, l'Australie a augmenté de 25 % les quotas d'immigration pour faire face à la pénurie de main-d'œuvre, notamment dans le secteur de l'hôtellerie-restauration.

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Cependant, les deux exemples mentionnés ne sont pas comparables à la situation en France. Dans ces pays, l'immigration est en général beaucoup plus qualifiée qu'en France. En 2021, seulement 35% des étrangers en France étaient diplômés de l'enseignement supérieur, contre 50% au Royaume-Uni et une moyenne de 40% en Europe. Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux du Canada et de l'Australie. Depuis longtemps, ces deux pays ont adopté un modèle d'"immigration choisie" avec un système de points au Canada. C'est un sujet tabou que la France n'a jamais osé explorer et chaque année, les études montrent à quel point la France est peu attractive pour les talents étrangers, principalement en raison d'une intégration insuffisante dans la société.

De toute manière, il est difficile de concevoir une intégration réussie sans la possibilité d'accéder au marché du travail. Frédéric Neymon souligne l'importance de notre rôle dans ce processus. Le travail représente le premier pas vers la société, et ce qui importe, c'est l'attitude et la motivation. Lorsque cela fonctionne, c'est une situation bénéfique pour tous.

Personne nommée Joséphine Boone

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